Évitez de baser vos décisions managériales sur des pseudo arguments scientifiques : l’exemple des fautes d’orthographe

Évitez de baser vos décisions managériales sur des pseudo arguments scientifiques : l’exemple des fautes d’orthographe

Mon attention a été récemment attirée par un article répercuté sur Linkedin par une personne de mon réseau. L’article était intitulé «Les fautes d’orthographe font perdre des parts de marché ». Wow .. quand vous lisez un titre comme ça, il est difficile de résister à la tentation d’ouvrir le lien et de lire l’article. Le billet d’Alain Gerlache décrit comment l’orthographe est devenu une compétence que maîtrisent de moins en moins les professionnels; il explique également que les fautes d’orthographe ont une influence sur le professionnalisme perçu de la société. Dans un monde où la concurrence est plus féroce chaque jour, éviter les fautes d’orthographe permettrait d’être mieux perçu par les consommateurs et donc d’augmenter ses chances de faire des affaires. L’argument essentiel est une étude mentionnée dans un article sur le site BBC ; dans cet article il est fait mention d’une « étude » qui révèle qu’une seule faute d’orthographe serait suffisante pour perdre des parts de marché. Cette “étude” est en fait une déclaration faite par M. Duncombe, un propriétaire de sites d’e-commerce: “il a mesuré les recettes par visiteur sur le site de tightsplease.co.uk et a constaté que le chiffre d’affaires est deux fois plus élevé après qu’une faute d’orthographe a été corrigée.” Je reste sur ma faim à la lecture de cette « étude » car elle ne prouve rien. À la lumière du working paper récemment publié avec ma collègue Laurence Rosier sur la perception de la politesse, je pense qu’il n’est pas inutile de souligner les différents raccourcis pris dans l’article de la BBC d’abord et dans celui d’Alain Gerlache ensuite.

 

Les fautes d’orthographe influencent en effet les perceptions des consommateurs (mais lesquelles ?)

Il est vrai de dire que les fautes d’orthographe influencent les perceptions des consommateurs. La question est toutefois la suivante: les perceptions des consommateurs sont-elles suffisamment altérées par des fautes d’orthographe au point de modifier leurs habitudes d’achat ? La lecture de la déclaration de M. Duncombe laisse à penser que c’est le cas. Pourtant, M. Ducombe ne fournit pas suffisamment d’informations pour nous convaincre que les fautes d’orthographe, prises isolément, jouent ce rôle. Il se pourrait bien en effet qu’il existe une myriade d’autres facteurs qui, à cause d’une corrélation plus importante, soient le vrai moteur des changements observés par M. Duncombe. En manipulant l’orthographe et en négligeant l’impact d’autres facteurs, Charles Duncombe n’a pas observé le résultat découlant de la justesse ou non de l’orthographe incorrecte, mais simplement d’autres facteurs ayant varié au même moment.

 

Tous les consommateurs remarquent-ils les fautes d’orthographe?

Cet aspect du problème est totalement passé sous silence et malgré nos recherches dans la littérature existante il semblerait qu’aucune étude ne se soit intéressée à ce point crucial : sommes-nous tous égaux quand il s’agit de percevoir les fautes d’orthographe ? Il est raisonnable de dire que les consommateurs ayant un doctorat en grammaire seront plus sensibles à l’orthographe que les personnes n’ayant pas eu la chance de suivre des études secondaires. M. Duncombe ne peut donc conclure sur l’influence des fautes d’orthographe sans contrôler quels sont ses visiteurs et quelle est la sensibilité de l’échantillon par rapport aux fautes d’orthographes.

 

Toutes les fautes d’orthographe ne se valent pas

Toutes les fautes d’orthographe ne se valent pas en matière d’impact global. Najeb et al. (2012) ont conclu dans leurs recherches qu’ “une mauvaise maîtrise de la langue et de l’orthographe conduit à la perception d’un manque de politesse». Certains auteurs ont également montré (comme le souligne d’ailleurs la BBC en citant Ditton) que la communication électronique a modifié la perception de ce qui est acceptable en termes de politesse. Il résulte qu’il doit y avoir également un certain niveau de “tolérance” en ce qui concerne les fautes d’orthographe. Les fautes d’orthographe qui entravent la compréhension globale d’un texte appartiennent sans doute à une catégorie supérieure qui affecte les comportements ; mais il est également raisonnable de dire que certaines fautes d’orthographe demeurent anodines et n’auront pas d’impact significatif sur les comportements des internautes. Sans tester au préalable le niveau de perception de la «gravité» de la faute d’orthographe manipulée, C. Duncombe ne peut donc rien conclure.

 

Conseils pour votre stratégie de marketing

Dans notre société de l’instantanéité, en l’absence de prise de recul, nous sommes devenus trop prompts à réagir après la lecture d’un titre à sensation comme celui qui est proposé ici : « Les fautes d’orthographe font perdre des parts de marché ».

La conclusion est simple à comprendre et l’effet semble si grand que les lecteurs ne peuvent que trouver la motivation de s’intéresser à cette problématique dans l’espoir, sans doute vain, de voir des résultats financiers apparaître. Pourtant, après un examen plus approfondi, l’argument sur lequel tout est basé semble bien faible. Les conclusions sont donc construites sur du sable et tenter d’appliquer aveuglément les quelques conseils prodigués risque de rester une entreprise stérile. Comme le suggéraient plusieurs lecteurs peu amènes dans leurs commentaires, on dirait que certaines personnes ont intérêt à voir émerger une passion soudaine pour l’orthographe en entreprise.


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